La VIA FRANCIGENA
d’hier et d’aujourd’hui
En 990, l’archevêque de Canterbury, Sigeric, décida de rejoindre Rome pour recevoir des mains du Pape Jean XV, le pallium, bande d’étoffe de laine blanche dont le port était réservé, à l’époque, aux archevêques comme symbole d’union et de soumission au Pape. Il partit au printemps et arriva à Rome en juillet. Le journal que Sigeric fit tenir par un scribe de sa suite concerne le voyage retour où sont précisées les 81 étapes de son périple. Ce manuscrit est conservé à la British Library à Londres.
Tableau 1 : les différentes étapes du voyage retour de Sigeric (de Rome à Canterbury)
Un grand nombre de ces étapes correspond aux anciennes voies romaines construites sous Jules César pour relier Rome à la mer du Nord. Ce passage rectiligne entre le Sud et le Nord de l’Europe prit le nom de Via Francigena dès le IXe siècle, ce qui signifie la voie en provenance du pays des francs. À partir de Rome, elle se poursuit par la Via Appia, jusqu’à Brindisi puis jusqu’à Jérusalem par le chemin de Pierre et de Paul 3000 km plus loin.
Ce chemin, à l’origine religieux, devint très vite un itinéraire très fréquenté pour les échanges commerciaux ou les déplacements militaires. Il fut à l’origine du développement des villes, des bourgs, des marchés et des monastères tout au long de son tracé.
Malgré les guerres et les conflits, la Via Francigena constitua un important chemin de pèlerinage vers Rome avant de tomber en désuétude au XVIIe siècle
Cette voie fut réhabilitée au milieu des années 1980 ; elle a été classée « Itinéraire culturel Européen » en 1994, puis « Grand itinéraire culturel du Conseil de l’Europe » en 2004, labellisant ainsi ce grand itinéraire en 80 étapes, long de près de 2000 km.
En Angleterre, de Canterbury à Douvres, la Via Francigena correspond au « North Downs Way ».
En France, de Calais à la frontière suisse, la Via Francigena correspond au GR 145 balisé par la Fédération Française de Randonnée (bandes rouges et blanches). Il y en plus des petits panneaux comportant le dessin du pèlerin et des panneaux précisant la distance entre deux villages ou villes. En principe, quand le dessin du pèlerin est sur fond jaune, il indique la direction de Rome, quand il est sur fond blanc, il indique la direction de Canterbury.
Le balisage du GR 145 est variable selon les départements ; il est ainsi quasi absent dans le département de la Haute Saône.
En Suisse, la Via Francigena est repérée par les panneaux indicateurs jaunes du « tourisme pédestre » qui indiquent la direction à suivre et le temps de marche jusqu’aux localités et points d’intérêt. La Via Francigena porte le numéro 70. Le degré de difficulté du chemin est défini par une signalisation de couleur : chemin de randonnée (jaune) ; chemin de randonnée de montagne (blanc-rouge-blanc); chemin de randonnée alpine (blanc-bleu-blanc).
Entre les panneaux indicateurs, le chemin est balisé avec des flèches ou des losanges jaunes peints sur les pierres ou les arbres.
Figure 1 : tourisme pédestre en Suisse
En Italie, le balisage est excellent et varie d’une région à l’autre. Dans la Vallée d’Aoste, ce sont surtout des panneaux indicateurs jaunes, comme en Suisse ; le degré de difficulté est précisé par une lettre T (sentier de promenade touristique), E (sentier de randonnée sans difficulté), EE (sentier pour randonneurs confirmés), EEA (sentier pour randonneurs confirmés et nécessitant un équipement).
Dans les autres régions d’Italie, en plus des panneaux indicateurs, il y a beaucoup de bornes dont la forme est typique de chaque région traversée ; c’est d’ailleurs un bon moyen pour repérer le passage d’une région à l’autre.
Figure 2 : borne en Toscane
Figure 3 : panneau indicateur et borne dans le Latium (ou Lazio)
En Italie, il y a beaucoup de pèlerins qui font le trajet en vélo. Cependant, tous les sentiers pédestres ne sont pas accessibles en bicyclette. Il y a donc des secteurs balisés pour les cyclistes et des secteurs balisés pour les marcheurs.
Il n’y a donc pas de difficultés majeures pour suivre la Via Francigena.
Alors qu’il y a environ 320 000 pèlerins qui marchent sur les différentes voies menant à Saint Jacques de Compostelle, la Via Francigena est très nettement moins fréquentée, même si le nombre de pèlerins augmente chaque année.
Rares sont ceux qui réalisent le pèlerinage dans sa totalité en une fois de Canterbury à Rome ; beaucoup ne font que la partie italienne, à pied ou en vélo, c’est-à-dire du Col du Grand Saint Bernard à Rome.
Il y a plusieurs lieux où un comptage des pèlerins est réalisé .
Au Presbytère de Langres où une partie est aménagée en gîte, ce sont les pèlerins qui dorment dans ce gîte qui sont comptabilisés ; en 2018, 220 pèlerins ont fait une halte à Langres. Le problème est que Langres est un carrefour entre la Via Francigena et une voie de Saint Jacques de Compostelle venant du Nord Est de la France et se poursuivant vers Dijon puis Cluny.
Champlitte (en Haute Saône) est une ville dans laquelle il y a plusieurs gîtes ; c’est donc un lieu de halte pour beaucoup de pèlerins ; certains passent à l’office de tourisme pour obtenir des renseignements et aussi pour faire tamponner leur crédenziale. Ainsi, en 2018, 128 pèlerins sont venus à l’office de tourisme sur les 230 qui ont dormi dans un des gîtes de la ville.
En Italie, entre Orio-Litta et Piacenza, il est possible de traverser le Pô en bateau en le descendant sur 4 km pour arriver au niveau du lieu-dit de Calendesco. Le batelier, Danillo, est un personnage sympathique et haut en couleurs : après la traversée, il montre toujours des pseudo-preuves du passage de Sigeric dans la région, et il accueille les pèlerins chez lui pour les référencer et tamponner leur crédenziale.
Figure 4 : empreinte du pied de Sigeric et d’un poisson au bas d’une colonne (d’après Danillo)
Il tient un registre sur lequel il note le nombre de passages par an en précisant la répartition par nationalités et par âge.
Il y a ainsi une augmentation régulière du nombre de passages : 919 en 2015, 1221 en 2017.
Les italiens sont les plus nombreux (55,5%), ensuite par ordre décroissant, les français (9,10%), les allemands (7,8%), les suisses (6,7%), les hollandais (4%). 8,3% correspondent au passage des « extra-européens » (terme utilisé sur le registre de Danillo) ; parmi ceux-ci ce sont les australiens, les canadiens, les américains et les brésiliens qui sont les plus représentés. Quant à la répartition par âge, 13% des pèlerins ont moins de 30 ans, 20% entre 30 et 50 ans, et 67% ont plus de 50 ans.
Il est cependant difficile d’établir un chiffre global de pèlerins marchant sur la Via Francigena par année.
Par exemple, tous les pèlerins ne traversent pas le Pô en bateau ; tout comme Sigeric, il est possible de faire le chemin dans le sens Canterbury – Rome ou dans le sens inverse.
Les chiffres souvent avancés par les associations et les fédérations se situe autour de 5000 pèlerins par an qui réalisent tout mais le plus souvent une partie de la Via Francigena à pied ou en vélo.